Welcome to the Fabulous…

Un soir du mois de juin, 20h10. Mon appartement, Paris. Je suis prêt, assis, stylo griffé MGM Grand en main et sur le point d’écrire mon papier sur le point d’orgue de notre voyage à Las Vegas, la fabuleuse.

Un verre de Laphroaig 10 ans d’âge, produit sur l’île d’Islay, est posé devant moi. Goût âcre, arrière-goût fumé. Du Jean-Jacques Milteau est amplifié par mon Marantz millésime 1988, dix-huit kilogrammes sur la balance. Le son grave et lent de l’harmonica remplit les pièces trop vides. Je me détends et projette mentalement sur le mur d’en face la photographie de Vino.

Pas le temps de l’imprimer, ni d’allumer l’ordinateur, je suis trop pressé d’écrire. Cette photographie est incrustée dans ma mémoire, je l’ai regardé autant que possible depuis que nous sommes rentrés, comme à la recherche du meilleur moyen de prolonger notre aventure végassienne. Elle résume tout Las Vegas, fait sentir, à qui l’a connu, et percevoir, à qui l’a évité, son atmosphère si particulière.


La chaleur, omniprésente, est le personnage principal de la scène. Elle écrase de tout son poids les objets tant animés qu’inanimés. Je m’attends à chaque instant à voir le désert entrer dans l’image. Les ombres, longues, sont à la peine en cette lourde et lente fin d’après-midi. Elles viennent mourir le long du bord inférieur de la photographie. La route est toujours difficile dans le désert, mirage végassien ou pas : "A walk to the sun of Las Vegas"

Une petite troupe nous tourne le dos et s’engouffre infiniment lentement sur un trottoir ridiculement étroit comparé aux deux fois trois voies de Tropicana Avenue. USA, pays sans nom où tout est démesuré. Tout est six fois plus qu’en Europe. Ces gars sont en marche vers le soleil, donc vers la soif. Ils sont sans peur, car certains d'étancher toutes les soifs, misant sur la si lointaine et si proche opulence de Las Vegas. Ils ont, nous le voyons, en point de mire l’oasis bien verte du MGM Grand, tout en sentant au fond de leur poche le craquement prometteur de leurs billets verts. Ils sont distraits par un objet hors champs sur leur gauche. Une belle américaine, un avion qui décolle de Mc Carran Airport. Nul ne peut savoir. Nous ne pouvons qu’imaginer.

La bande occupe le centre de la photo et leurs ombres tâchent d’encre noire le bitume au premier plan. Le choix du noir et blanc accentue le contraste des ombres sur les surfaces inondées du soleil déclinant du Nevada. Malgré son intensité, la source de lumière baisse sur l’horizon et met en évidence avec détail la granularité du sol, brut et irrégulier. La surface de macadam brille par son imperfection, alors que déjà notre regard est happé par les grandes ombres qui éclaboussent le sol de leur noirceur. Elles sont si longues qu’il nous faut un temps pour les remonter. Nous posons alors le regard sur nos héros, fatigués et écrasés de chaleur mais encore insouciants, coincés entre une haie fraîchement taillée et une avenue démesurée, quasiment le pied sur un micro-trottoir. Ici, les surfaces sont déjà plus douces, les nuances de gris plus nombreuses. Nous pouvons nous laisser aller à décrypter les variétés de textures et de couleurs.

Notre regard se dirige ensuite vers la gauche le long de la haie qui délimite un espace arboré, direction dans laquelle nos héros ont la tête tournée. Sans autre résultat que celui d’alimenter notre imaginaire. Nous rêvassons un instant.

Notre regard ne peut revenir que sur le groupe et plonger comme pris d’un vertige dans l’espace découvert à droite de l’image. L'immense avenue déserte nous frustre elle aussi. Un large panneau publicitaire du MGM offre enfin à notre œil de s’arrêter. Il est en plein duel avec un panneau du Golden Nugget. En arrière-plan, nous apercevons les buildings et les hôtels du Strip. Le contexte spatio-temporel est planté en un instant. L’observateur sait d’un coup où situer la scène et se rattacher à l’aventure. Un seul élément dans le décor lui suffit pour les rattraper. Un panneau publicitaire qui résume l’Amérique.

Après nous être arrêtés sur une vision de l’Amérique, revenons à la bande des six pour les suivre dans leur quête. Ou plutôt les précéder car notre regard coule très vite entre les interstices du groupe. Notre regard dépasse la ligne d’horizon cachée par la cité. Soudain, une masse noire, sombre, imposante et cubique occupe le ciel du Nevada. Le MGM Grand, un des plus grands et plus anciens hôtels du Strip, réunit en son sein la plupart des promesses de Las Vegas. Troupe insouciante, avions-nous observé.

A cette heure, le soleil domine toujours, mais pour une poignée de minutes encore. La masse noire du MGM est baignée de sa lumière éclatante. Il a encore toute sa superbe, nous aveuglant de son blanc éblouissant. Il est à cet instant le dernier résistant à la nuit vegassienne qui vient et jette ses dernières forces dans un combat perdu d’avance. La nuit sera, comme à chaque fois, la grande gagnante, vainquant les bourses, les corps et les âmes.

Plus qu’une simple photographie composée d’une scène si américaine, ce cliché évoque un diptyque cinématographique dont le premier épisode est raconté, alors que le second ne l’est pas, et agit sur qui veut comme un shoot d’extrait hyper concentré de folie ouest-américaine.

Posté par : .An Eye on the Wec  

6 comments:

Miss Lou a dit… 10 juillet 2009 à 19:23  

Un seul mot : Fabulous !
Merci

Vino a dit… 10 juillet 2009 à 20:55  

Merci mon pote !
j'adore ton approche cinématographique : grâce à toi je redécouvre cette photo.

Julian a dit… 20 juillet 2009 à 21:41  
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Julian a dit… 20 juillet 2009 à 21:42  
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Julian a dit… 20 juillet 2009 à 23:59  

Au passage, bravo à toi pour la belle histoire, et bravo à Vino pour la prise de vue.

Julian a dit… 21 juillet 2009 à 09:33  

Pré-scriptum: Je met ma réponse à ton message ici, ça me semble plus pertinent.

Salut An eye on the WEC.

Merci pour les encouragements.Si ça te dis, tu pourra aussi jeter un œil sur mon flickr, je suis dans vos contacts là bas: "ikki.aka.julian"

Je vous ai découvert avec le collage sauvage à Buzenval. Après de rapides recherches sur le net, j'ai trouvé le Blog, le flickr et le facebook.

J'ai d'ailleurs échangé un peu, avec Vino notamment.

Je te retourne la question: comment-as-tu découvert mon blog? Hasard? Lien quelque part?

je contacterais votre collectif un de ces 4, si je continue d'avoir des avis positifs. Passe le lien aux autres membres si ça les intéressent.

Voilà. Merci encore.

Julian.

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